Le monde des routes bouts
Isidore Datsinov
CONTEXTE : Midya et Franze (on sait pas trop si ils sont en couple ou pas, en tout cas ils sont relativement intimes) voyageaient ensemble jusqu'à ce que Franze, occupé par des conflits vagues dans son groupe d'ami-es, lâche Midya au middle de nowhere. Après avoir attendu un certain temps, Midya en a assez d'être seul et décide de visiter un peu la zone.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Wanderant encore marchant encore la machine ne pouvant pas s'arrêter comme ça, après des mois d'efforts mon corps est mu par l'inertie de son propre mouvement et je continue à marcher
En passant au-delà de Grandes Questions j'ai été suivi
Un pakboy qui se prend pour plus grand que moi
I-me-dit
hé toy hé toy là
Je vois ses yeux très bleus que j'essaie d'ignorer
Lui va pas me laisser tranquille
Je lui dit d'aller se faire cuire il back-up
De derrière une motte fumante sort son poto, des fougères à la main, pakboy lui aussi je me disais bien des pakboyz yen a jamais qu'un seul c'est pour ça qu'on dit d'eux : ce sont des pak-boyz
ils commencent à parler ensemble pendant que je m'éloigne
Avant de couper à travers la motte et vers le champs en contrebas, j'entends clairement ce qu'ils se disent et je sais qu'ils parlent assez fort pour que j'entende
Oué je sais pas elle veut pas parler elle est occupée par ses affaires haha - Pourquoi tu dis elle - - je sais pas je trouve ça plus charmant elle pour parler d'elle - - haha ifeelyou Bod haha - - haha regarde-la s'en aller y'a un truc qu'on dit qu'elle doit pas entendre souvent - -
Et leurs mots se meurent doucement et en échos reviennent sur moi me tremper
Et je m'éloigne en entendant tout ça et je ne les entends plus j'ai gagné une lisière boueuse et un peu triste et j'ai aussi gagné un peu de tranquillité mais me voilà à nouveau poussé au bord par des pakboyz ennuyés suffisamment ennuyés pour faire flic les voyageurs et je me dis : nice werk Pakboyz
Je retrouve une piste. En traversant les champs hostiles on finit toujours par trouver une piste fiable et tranquille qui s'éloigne des villes et des pakboyz. Je me pose sur une souche pour verser deux larmes et réfléchir à mon futur : il va falloir qu'ils comprennent, à un moment, que je suis autant humain qu'eux et que leur ennui nous fait du mal. Il va falloir que tous aillent se faire bien cuire et qu'ils se fassent à l'idée qu'ils ne me déracineront pas je me vois derrière mes lunettes bouche en coin dégoûtée et les yeux un peu rouges et je vois mes lunettes dures leur bordure dure en os tranchant et je sais que je suis dur, résilient, et fort, et accroupi. Franze manque à mon body et je me dis que je voudrais bien lui texter dans le noir. Pas pour lui dire de revenir pour lui dire que je pense à lui à son body à lui et aussi que j'ai besoin que quelqu'un me dise IL juste maintenant trop seul trop seul là face aux agressions de deux pauvres pakboyz que je reverrai jamais sans doute
Et je me remet debout
Et je suis en colère contre tout et
Et je voudrais seulement des animaux bizarres pour toute compagnie et
Et des petites mécaniques et
Et la pluie, et la pluie et
Et du vent, du vent fort, et
Et la neige, les branches et la variété un-finie des trucs-à-voir.
Un peu de route et la nuit tombe comme un gros arbre qu'on coupe
Je me traîne jusqu'au post d'après et je m'y fais une place sympa
Le temps se rafraîchit bonne nuit le soleil acide dans mes os et bonjour l'humidité gluante alors je fais un feu dans la petite kamine du post avec le bois laissé par les précédents.
<<<<<<< il me faut du temps pour penser à autre chose qu'aux pakboyz et pourtant je me suis enfermé dans le post et je sais que je crains rien ici dans le post devant le petit feu et que je me suis déjà défendu contre 3+ pakboyz armés et je suis fort, je le sais, plus fort qu'eux, j'ai juste besoin de m'occuper les mains et un post c'est idéal pour ça, y'a toujours un petit truc à faire ; là en l'occurrence faut refaire les connections du petit dispositif qui transforme la chaleur du feu en pouwer nourrissant pour les laptops et pour se faire une petite place au chaud dans le réseau. Petite coupelle d'acier petit dispositif sympa dans le sens gentil petite perche petite fourche pour la poser à dix centimètres des flammes d'après le manuel gravé dans ma mémoire. En général je suis bon avec les dispositifs électriks je dois juste me refaire la main.
<<<<< ça a jamais été qu'une béquille ou qu'un starter ça le truc qu'on met au-dessus du feu qui rougit lentement et qui nourrit l'ourdi parce que tous les quarts d'hor faut redonner un peu de pouwer avec la dynamo du post <<<<< Ce post a de tout décidément y'a même du snack <<<<< j'allume l'ourdi <<<< ça prends du temps <<<< je me log sur les canaux où j'allais avec Franze <<<<< grand désordre sur les discuss de texts communs dans lesquelles je me suis invité pas envie de tout lire mais dedans ya du IL à mon égard et je me retrouve un peu <<<<< Logjournal Newsdujour pas tant, pas tant les news des groupes restreints, de la petite dizaine de chasseurs-cyclistes que je fréquente
<<<< nouveaux messages ? Nan alors je texte Franze pour lui raconter ce qui s'est passé dans l'apremidi, il répond presque tout de suite : <<<<< - - ah marde et ça va ? - - non clairement pas top là je suis à 1 post de GRANDES QUESTIONS direction nord-est-est j'ai perdu du temps j'ai perdu le rythme ça m'a mis mal t'as pas idée - - awouai - - <<< alors fatigué de tout ça j'explose <<<<< - - Franze je suis crevé d'attendre je me languis je vais direction nord-est-est pour un bon moment cherche pas à me rattraper pas la peine et je souffre d'attendre je vais entendu ? Je vais et je m'arrête pas pour toi - - daccoroké Midya excuse moi ça a chauffé là tu sais - - oké alors je te text plus avant au moins 4 ou 5 posts d'ici là porte toi bien <<<<<
J'ai changé d'avis je suis pas dans l'état de lui dire tout ce qui me passe par la tête
C'est le bout du monde des routes
C'est le bout de sa route à lui
Comme quand une cig négligée troue la téla du kanap.
Autour du post, mini-monde, tout craque et je suis bien là près du feu dans mes couvs
J'ai pas envie de dormir je me sens excité plein de mots plein de moi-même et plein d'envie de parler de moi
J'ai envie de parler à Lowkow
Je me délog des discuss publiques et je pars à sa recherche
Se logger sur les discuss publiques c'est assez simple et on le fait presque à chaque post, pas de modpass à entrer en général parce qu'un intrus serait rapidement repéré et éjecté.
Lowkow, qui est sédentaire la plupart du temps, passe beaucoup de temps à marcher d'un réseau à un autre quand nous-nomades marchons principalement d'un post à un autre.
Dans les villes il y a des chatroumes qui sont comme les roumes tangibles des nomades : pleines de gens qui vont et qui s'en vont, pleines d'images et d'updates de cartes, pleines d'infos bizarres constamment re-controversées, du désordre au désordre en repassant par le désordre.
Lowkow organise une de ces chatroumes, chambres obscures, ou organisait, je sais jamais trop où elle en est, elle grave un peu sa vie comme connecteuse, allant de paiechek en paiechek dans les grands bois fournis de la vie, dans le mystérieux souterrain des réseaux. Son taf implique d'organiser les responsabilités des citadins de son quartier (qui paye quoi à qui pourquoi)(qui va cultiver quoi quand)(qui va ramasser le bois comment où) et faire des plannings. Le soir les chatroumes osbcures cessent de produire des plannings et Lowkow y organise des biz plus complexes. J'identifie de mémoire celle où Lowkow bosse sans doute encore malgré l'heure de soirée <<<<<
Je me sens
j'ai comme un froid dans mon corps et je sais que ce froid provient de la discuss de groupe où je me suis invité tout seul, où l'on parle de moi mais où moi je ne parle pas, et une sorte de solitude s'éternise en pleurs étouffés juste sous la gorge. Je forme des mots sur l'ourdi mais ces mots ne sont pour personnes et les deux mains qui les forment se sentent faibles et froides.
Je me trompe de mauvaise habitude et je tremble un tout petit peu et comme toujours en moi les choses meurent lentement, s'éternisent dans leur mort, mort des vieilles mauvaises habitudes.
Images petites trop petites. Groupes, nous allons comme des chenilles sur le bord d'une feuille trempée on manque à chaque fois de tomber les plus faibles suivent avec peine, les plus fortes oublient qu'elles sont plus fortes et le temps se rafraîchit. Seuls, nous perdons lentement nos repères dans un paysage obtus et muet et dans l'un-fini des lundis et dans l'un-fini des choses à rencontrer.
Il y a deux sources de lumière : une bleue, l'ourdi ; une orange, le feu. Et entre les deux il y a moi qui n'en produit pas, le tchai chaud à la main, les lunettes juste un peu réfléchissantes, le dos se chargeant de la bonne chaleur. Entre tout ça un réseau d'odeurs qui me calment. Il faut fouiller dans un fatras de vieux fichiers donnés par Franze pour le modpass et à cet égard la mémoire du laptop cède la place à la mienne. Si le laptop se souvient des noms et des images à la perfection, je suis très fort pour me souvenir de leur emplacement et de l'ordre dans lequel ils vont.
La dynamo demande un coup de manivelle
Je me prépare j'ai vraiment fréquenté que les réseaux rapides et prioritaires de nous-nomades, pas les réseaux lents des citadins
Faut envoyer une request : à qui tu veux parler ? C'est la manière de procéder la nuit, chaque connecteuse échange avec ses potentiels un modpass à fournir quand on veut intégrer la chatroume. Un modpass différent pour chaque connecteuse distribué à son réseau personnel. J'en trouve un au milieu d'une list donnée par Franze, mais ce n'est pas indiqué si celui-là renvoie à Lowkow ou à quelqu'un d'autre ;
Contact établi
<<<<< - - Lowkow ? - - na pas Lowkow - - c'est qui - - Ebnik - - oké Ebnik y'a une Lowkow par ici qui serait connecteuse ? - - aouwai y'a, y'a mais deux choses : elle est pas sur machine à l'hor actuelle, et puis processus de nuit oblige pour accéder à elle faut que tu te déco et que tu repasse par toutes les routes - - Ebnik tu as le modpass pour accéder à Lowkow, que je me mette en attente de son retour ? - - Oa j'a ça quelque part tu peux patienter do minuts ? - - akay Ebnik je me mets en attente - - <<<<<
Je vais prendre une gorgée d'air mouillé à la demi-fenêtre. Un petit dessin en plastique sur le rebord indique qu'on ne peut smoker qu'à la demi-fenêtre. Il y a des flammes dessinées avec une grande patience et un amour infini qui précisent les risques d'incendies que l'on court à smoker à l'intérieur.
Un son minuscule venant du noir bleu orange derrière moi indique qu'Ebnik m'a répondu <<<<< - - j'ai ton modpass - - Ay merci - - grandesquestions15 - - <<<<< petit choc dans ma tête suivi d'un petit sourire parce qu'Ebnik n'a aucun moyen de savoir que je suis près de Grandes Questions la ville et qu'il faut bien croire que c'est une coïncidence que le modpass pour Lowkow ait le même nom, en même temps je sais son habitude de voler des noms de lieux pour ses modpass plutôt que de faire comme les autres et d'arranger un certain nombre de caractères aléatoirement <<<<< - - merci Ebnik bonne nuit bon travail - - merci à toi bonne nuit CLAC <<<<<
Bonne nuit, bon travail
Qui c'est ça Ebnik, je crois connaître le nom, je crois connaître quelqu'un avec ce nom en tout cas, mais c'est peut-être le nom d'un lieu ? Bon travail. Ebnik est là bas sans doute dans une werkroume obscure qui se vide, hauts plafonds, large cube d'air entre des faux murs, plantes en pots, tchaïère perpétuelle qui ronronne doucement, un collègue tranquille qui tape des messages d'intérêt généraux sans parler à Ebnik sauf pour lui proposer une tasse, peut-être que la collègue en question c'est Lowkow, peut-être que Lowkow est dans une autre werkroume obscure hauts plafonds lumière faible (économies du soir)....
Je refais tout le processus une seconde fois <<<<< contact établi
<<<<< - - Lowkow ? - - Ouwai c'est qui ? - - C'est Midya-de-Franze - - Ah salut Midya je peux t'aider ? <<<<< Je produis un sourire et je me mets plus confortable pour discuter, exposant mon flanc au feu, accroupi, un peu mieux, massant mon pied nu au bon tapis <<<<<
Dehors le vent commence à souffler fort
Les mots de Lowkow font leur chemin en points scintillants de très loin à très proche sans jamais être précisément là
Leur immense proximité néanmoins est ce qui les rends délicieux et j'aime leur faible présence
Ils créent un espace nouveau : la chambre noire, la chatroume, d'où les connecteuses commencent à se déco pour aller dormir ou se pinter-tinter, où l'activité subsiste en traces estompées, où bientôt comme l'heure avance il n'y a plus que Lowkow et moi, même si d'autres parlent encore sans doute un peu partout et pour toujours
La journée ayant à peine eu un début
Prends fin alors que je regarde décanter les mots de Lowkow et je termine en lui disant <<<<< - - je m'endors Kow m'en veux pas, bonne nuit - - oké prends soin de toi Midya bonne nuit aussi et si tu as envie écris moi au prochain post - - merci - - CLAC <<<<<
Isidore Datsinov