éloge du politiquement correct
Mériem Font Mokrane
En ce moment, on en en entend souvent parler. Que ce soit quand il est question d’humour, d’actualités ou de polémique sur internet, le voilà qui survient. Ce terme, comme un mot valise malmené, voulant dire tout et n’importe quoi est employé à toutes les sauces. Qu’importe la forme de l’espace où l’échange verbal a lieu, on en arrive à l’invoquer, tel un bouclier rhétorique magique, stoppant net tout débat possible. Il s’agit pour la personne le convoquant de se parer d’une aura de grand penseur, incompris, allant à l’encontre de son époque et des idées ringardes qu’on lui oppose. Les mots « procès », « chasse aux sorcières » et autres ne sont jamais très loin. Tel un héros tragique que l’on souhaite faire taire, il a bien raison et d’y vouer son énergie et son temps, quitte à se faire des ennemies. Que l’on est tombé sur un sujet brûlant et que tel un Lancelot du lac, nous voilà parti combattre les dragons de la pensée unique, celle là même qui sévit dans les plus hautes sphères, hautement influencées par des groupes minoritaires : féministes, antiracistes, LGBT.... Ce dont je parle c’est le politiquement correct. Ce mot au sens plus que brumeux, employé à la fois sur d’obscures forum du fin fond de l’internet que sur des radios, des chaînes à des heures de grande écoute.
James O’Brien est un journaliste anglais qui officie sur la radio LBC, basée à Londres. Son émission, diffusée en semaine entre 10h et 13h, consiste à recevoir différents appels afin de débattre de sujet de société et/ou d’actualité. L’auditeur en ligne du moment parle d’uniformes scolaire. En effet, la Priory School à Lewes, dans l’Est du Sussex, va désormais instaurer un uniforme « neutre », c’est à dire un même uniforme que se soit pour les garçons et pour les filles. Etant dans une démarche d’égalité des sexes, il est aussi question pour l’école d’intégrer et de faciliter au mieux l’épanouissement de jeunes personnes transgenres (1). Le dialogue qui va s’en suivre entre l’invité téléphonique, défavorable à une telle mesure, et James O’Brien, connu pour ses positions plutôt progressistes.
(Ceci est une traduction personnelle du replay de l’émission, trouvable sur Youtube)
(Dans un soucis de clarté, et n’ayant pu me décider entre le A de Auditeur et le I de Invité, le deuxième personnage sera désigné sous les initiales A.I.)
A.I. : Quel est le mal à vouloir appeler ça « fille » ou « garçon », je veux dire, je ne comprends pas pourquoi ils voudraient se plier au politiquement correct et...
JOB : Pourquoi pensez-vous qu’il s’agisse de politiquement correct – que voulez-vous dire par cette phrase ?
AI : On l’entend toujours, maintenant…
JOB : Je sais mais personne n’a jamais pu me m’expliquer ce que ça veut dire, que pensez-vous que cela veut dire ?
AI : de... quoi ? Politiquement correct ?
JOB : Oui.
AI : Eh bien, ça veut dire, essayer de dire quelque chose qui n’offense personne...
JOB : Mais cela offense beaucoup de personnes.
AI : C’est vrai, mais...
JOB : Donc ça ne veut pas vraiment dire ça, n’est-ce pas ?
AI : Et bien ça veut dire ça, mais il y aura toujours quelqu’un qui, hélas, ne sera pas d’accord avec les autres
JOB : Donc c’est mal d’essayer de ne pas être offensant ?
AI : Non, vous devez essayer de ne pas être offensant...
JOB : Mais c’est du politiquement correct ça
AI : Vous... vous ne pouvez pas plaire à tout le monde, tout le temps...
JOB : Je sais, je sais tout ça mais votre définition du politiquement correct était essayer de ne pas offenser les gens, donc finalement c’est une bonne chose ou une mauvaise chose ? Vous voulez dire TROP essayer de ne pas être offensant.
AI : TROP essayer, il y a...
JOB : A quel point devons-nous essayer ?
AI : Essayer raisonnablement
JOB : Qui décide de ce qui est raisonnable ?
AI : (RIRE) Très bien, (cherche à revenir sur le sujet de départ)
JOB : Attendez une minute mon cher, « politiquement correct » sont des mots, avec lesquels vous jouiez et j’essaye de comprendre ce que vous vouliez dire par là
AI : C’est un commentaire...
JOB : Ce n’est pas un commentaire, c’est une question : que voulez-vous dire par : nous ne devrions pas trop essayer de ne pas être offensant ; nous devrions essayer d’être plus offensant, c’est la conclusion logique de ce que vous venez de me dire…
AI : C’est..
JOB : Toutes ces personnes à toujours essayer de ne pas offenser ou heurter à tout va, que le diable les emporte, c’est ridicule, nous devrions être plus insultant et offensant
AI : (rire) Pour en revenir à votre question à savoir qui décide, je pense que c’est aux dirigeants de marques de décider, par exemple si John Lewis décide de le faire, c’est bien…
JOB : Donc pourquoi employer ce terme ? Parce que cette expression surgit dans toutes réponses plutôt irréfléchies que l’on trouve sur les réseaux sociaux et dans la section des commentaires ; pourquoi c’est ce terme « politiquement correct » ? Pourquoi ça vous importe tant ?
AI : … Hum, je suppose que ça ne m’importe pas tant que ça, je pense que ça m’importerait si cela me concernait personnellement ou mon propre commerce, si je devais le faire, si j’étais obligé de le faire
JOB : Obliger par qui ? AH oui d’accord, vous avez cette idée que l’étape finale serait de rendre illégal de dire « ceci est pour les filles », « cela est pour les garçon » ?
AI : Oui !
JOB : D’accord, imaginons ce scénario fantaisiste et peu probable un instant, quel est le pire qui pourrait arriver si cela se passe comme ça?
AI : Vous auriez des directives du gouvernement, de ne plus utiliser ces mots...
JOB : Mais dans un contexte social et professionnel, les gens auront toujours besoin d’uniformes, dans la même quantité, pour exactement le même nombre de gens, ce ne sont que des mots (NRLD « fille », « garçon ») et rappelez-vous que vous êtes celui qui disiez que jouer sur les mots était une mauvaise chose, ce serait juste les mots qui changeraient. Donc quelle est la pire chose qui pourrait vous arriver si on vous disait que vous avez à vendre juste des blazers et uniformes pour enfants ; et même si vous voulez être physiquement précis, vous pourriez dire voici des blazers pour jeunes personnes avec des seins, et voilà des blazers pour de jeunes personnes sans seins ?
AI : Vraiment c’est le pire qui pourrait survenir de devoir appeler comme ça les vêtements de fille et de garçon (…). Finalement ça ne serait pas la fin du monde mais..
JOB : Donc ce n’est même pas un problème, non n’est-ce pas Paul ? Quand on arrête de s’en préoccuper, en mettant les mots « politiquement correct » de côté et que vous utilisez votre cerveau plutôt que d’être l’écho d’un vocabulaire ridicule de droite, ça n’a vraiment plus la moindre importance.
AI : Alors pourquoi vouloir y changer quelque chose !?
JOB : Parce ce que ça compte pour les personnes qui en bénéficieraient. Celles que nous devrions blesser plus selon vous, ou plutôt, moins essayer de ne pas blesser
AI : Mais qui ça offense ?
JOB : Les enfants. Qui ne veulent pas qu’on leur dise qu’il y a quelque chose de mal avec les vêtement envers lesquels ils et elles se dirigent naturellement.
AI : Personne ne leur dit que c’est mal ce qu’ils portent...
JOB : Si vous le faites ; c’est pour les garçons, pas pour les filles, tu es une fille, tu ne peux pas porter ça, c’est pour les garçons
AI : Ça ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas le porter
JOB : Donc vous en faites un problème inutile.
AI : … heu, et je pourrai vous dire la même chose
JOB : D’accord, donc qui est-ce que ça offense ? Vous allez dans un magasin où il est écrit « pour les garçons, pour les filles », « pour les filles, pour les garçons », qui a un problème avec ça ?
AI : … Personne
JOB : Vous venez de dire qu’elles le sont mon cher
AI : Non je ne pense pas vraiment que quiconque a un souci avec les sections garçons-filles, il n’y a qu’une très petite minorité qui pensent qu’on ne devrait pas genrer quoique ce soit... Nous avons même des écoles qui font des toilettes unisexes !
JOB :... Et ? Avec des portes et des verrous.
AI : Oui ! Enfin, encore une fois, ce n’est pas le pire problème au monde mais nous sommes en train d’en faire tout une montagne...
JOB : Mais pourquoi ? Enfin, c’est un peu injuste, car historiquement parlant, j’apprécie que vous appeliez une émission radiophonique et que vous utilisiez le terme « politiquement correct » alors que personne ne s’attend à ce que vous sachiez réellement ce que vous voulez dire par là. Vous êtes supposé pouvoir aboyer et geindre à ce propos, vous prendre une tape dans le dos et passer à autre chose. Mais donc pourquoi ? Pourquoi appeler à ce sujet ? De tous les sujets possibles dont les gens se soucient, pourquoi vous souciez de comment les vêtements sont catégorisés et une partie de la réponse est qu’on s’est déjà mis d’accord sur le fait que ça n’affecterait pas votre commerce en aucune manière. Faites-moi une petite faveur, prenez un moment et réfléchissez « Attends une minute. Pourquoi cela me dérange ? »
AI : Je pense que, je pense que vous touchez du doigt quelque chose. Si un jour il nous est imposé de ne plus se référer aux garçons et aux filles séparément, je pense qu’il y a un danger que ça s’accélère et que le gouvernement arrive et dise : « oh oui, c’est un excellent point que vous soulevez ! »...
JOB : Comment... Je... Je ne pense pas que ça arrivera mais je respecte que y croyiez et que nous sommes à la limite de nous réveiller la semaine prochaine et que nous ne soyons plus autorisés à nous nommer « garçon » et « fille », mais plutôt à nous nommer une « personne ». Comment cela affectera votre manière de vous définir ?
AI : Cela n’affectera pas ma manière de me définir...
JOB : Alors de quoi êtes-vous confus exactement ?
AI : Je ne dirai pas que je suis confus, je suis inquiet...
JOB : Qu’est-ce qui vous inquiète ?
AI : Que ça aille trop loin, que les gens tombent dans la mouvance...
JOB : La seule mouvance que je vois ici est les gens qui emploient les phrases du type « politiquement correct ». C’est le plus gros raccourci de tous. Donc si j’étais en « charge » et que, pour satisfaire votre quelque peu étrange prédiction, je bannissais les mots « hommes » et « femmes » et insisterais sur le terme « individu.es », que vous n’êtes que Paul, un individu de Northwood, comment cela vous toucherait, affecterait votre vie, la rendrait pire ? De quoi avez-vous peur ?
AI : Je ne suis pas sûr d’y avoir déjà pensé...
JOB : Et bien, finalement je pense qu’on est d’accord là-dessus.
Quand j’étais enfant et adolescente, l’anti-politiquement correct concernait l’Église, le gouvernement et toutes les structures détentrices du pouvoir exécutif ou moral. Que je m’en moque ou que je les critique, l’idée était plutôt claire me concernant que j’allais à l’encontre d’un ordre établi, qui gênait, dérangeait. C’est pour cette raison que naturellement, lorsque je parlais féminisme à mes contemporains et qu’iels me répondaient par des cris d’orfraies, je pensais alors, naïvement apparemment, que j’étais politiquement incorrecte. Sans le revendiquer haut et fort, car ce qui me tenait le plus à cœur était moins l’étiquette de « rebelle » ou d’ « insoumise » que le fond du sujet que j’abordais, à savoir les inégalités des conditions matérielles (d’une définition marxiste) des femmes vis à vis de celles des hommes. Je ne me souviens plus quand le basculement a eu lieu, à partir de quel instant on a commencé à taxer les militant·es, intellectuel·les représentant·es de mes idées comme étant « politiquement correct·es ». Calqué sur le modèle des États-Unis, la « political correctness » objet d’attaques par les groupes d’extrêmes droites et conservateurs contre les groupes sociaux des minorités, soit disant détenteurs d’un pouvoir. Désormais, le « politiquement correct » et la « political correctness » sont lié·es, mélangé·es et où avant il fallait faire une distinction entre nos alliés américains et nous, désormais nos groupes conservateurs sont les mêmes, tout comme la rhétorique basse et crasseuse qu’ils emploient.
" Je ne suis pas à contre-courant pour l’étiquette mais bien car les droits des individu.es issus des groupes marginalisés ne fait pas consensus dans notre société actuelle. "
Mon choix s’est porté sur la traduction de la vidéo de James O’Brien car elle amène deux points que je souhaitai développer ici :
De un : - Une fois que le contradicteur ait été poussé dans ses retranchements, l’usage du terme « politiquement correct » est employé sans réflexion au sens que l’on pose derrière. Il s’agit plus d’une attaque superficielle où ce qui reproché est en réalité plutôt flou. Est-ce se soumettre au gouvernement ? A la bien-pensance portée par la majorité ? Respecter et ne pas agresser d’autres personnes ? Au final, on y appose qu’une vague idée de ce que ce terme signifierait, en comptant plus sur son impact dans le discours qu’en réfléchissant au sens qui est derrière.
Et de deux : - Admettons que le « politiquement correct » serait effectivement « tâcher de ne pas heurter les gens ». Heu, oui? Et donc? Finalement si c’est cette définition qui est admise, je pose la question : quel est le problème ?
Comme je le disais plus haut, je me bat et nous nous battons pour des causes qui nous semblent justes et, pour nombre d’entre nous, relèvent de notre survie au quotidien, physique et psychologique. Bien que je fasse le constat que politiquement mes valeurs ne sont pas celles partagées par la majorité, si le seul reproche que l’on a me faire afin que je me taise, est de faire du « politiquement correct », très bien.
Actuellement, ces mots semblent englober des actions et des idées que je tâche de mettre en œuvre et de partager. Ce n’est pas juste une posture me concernant. Il s’agit de ma vie. De celles de mes sœurs et frères, trans, prostituées, non-hétéros, non-blanches. Et parfois tout cela à la fois et même plus. Je ne suis pas à contre-courant pour l’étiquette mais bien car les droits des individu.es issus des groupes marginalisés ne fait pas consensus dans notre société actuelle.
Prenons l’exemple du langage non-sexiste (dit inclusif. La critique de cette appellation étant que nous ne souhaitons pas être inclus dans le langage, nous revendiquons notre place légitime.). Il consiste à rendre visible le féminin dans la langue française, c’est à dire aller à l’encontre de la règle où le masculin l’emporte systématiquement. Alors que enfant, j’ai longtemps lu des textes mettant le féminin entre parenthèse, les remplacer par des tirets ou des points médians, rendant les accords plus égalitaires, pose problème.
" Il s’agit là de retourner le stigmate contre les victimes, en leur reprochant la forme plutôt que de considérer le fond. "
Dans l’émission de Patrick Cohen du 26 septembre 2017, sur Europe 1, la question qui touche Raphaël Enthoven est celle de l’écriture dégenrée qu’il compare alors à la novlangue. (2) La novlangue est un langage imposé dans le roman dystopique 1984 écrit par Geoges Orwell. Ce langage consiste en un contrôle de la langue, autorisant certains mots, interdisant d’autres et en les remplaçant. Ce qui entraîne une réduction du vocabulaire, réduisant notre champ de réflexion sur notre monde.
Par exemple, « bad » (« mauvais ») est interdit et est remplacé par « not good » (« pas bon »). Cela permet de relativiser notre ressenti vis à vis d’une expérience désagréable, et de ne pas en tirer les mêmes conclusions. Les mots permettant d’exprimer des idées ou des concepts, en réduire le nombre limite aussi notre capacité à les réfléchir et à réagir, glissant d’un contrôle de la pensée à un contrôle du corps.
à l’heure où l’affaire Weinstein bat son plein, où les hashtag #metoo #moiaussi ou #balancetonporc permettent enfin de libérer la parole de trop nombreuses victimes, voilà que Enthoven, Zemmour, Polanski, Allen et autres penseurs, artistes ou personnalités ayant des espaces d’expressions multiples, empruntent un vocabulaire issu d’un champ lexical précis : « collabo » « négationnistes » « délation » « chasse aux sorcières » « lynchage publique », il s’agit là de retourner le stigmate contre les victimes, en leur reprochant la forme plutôt que de considérer le fond.
Ainsi peut-être est-il temps de laisser ces personnalités s’exprimer dans le vide et de nous concentrer sur ce qui nous importe. Créer, construire et abandonner au néant leur pénible logorrhée d’une idéologie bornée qui a fait son temps. J’ai essayé de discuter plusieurs fois, je me suis acharnée à expliquer et ré-expliquer, j’y ai laissé beaucoup d’énergie et ai passé de très mauvaises nuits. Puis il m’est venu à l’esprit que je n’avais pas à convaincre quiconque de mon droit à la dignité et que personne n’a à s’y soumettre. De mon côté, je préfère désormais lire et apprendre, de la part de personnes qui souhaitent vivre et agiter cette langue un peu poussiéreuse. Après tout, c’est ainsi que le langage survit: en changeant, au sein d’une société qui évolue. Et ceux qui souhaitent la voir statique et inchangée, la condamne de ce fait à se faire une place au musée, où l’on regarde, observe mais où l’usage et la manipulation sont impossibles. Sans mouvement, il s’agit de la mort. Et je préfère consacrer mon énergie aux vivants.
Mériem Font Mokrane
(1). https://www.theguardian.com/education/2017/sep/06/secondaryschool-makes-uniform-gender-neutral